“Madelaine avant l’aube” de Sandrine Collette

Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette, JC Lattès, 2024.

Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette 

***

Ça parle de quoi ? Dans une contrée reculée, à une époque indéterminée, des paysan·nes pauvres habitent tant bien que mal les terres sur lesquels iels sont né·es. Jusqu’à l’arrivée de Madelaine, une petite fille sauvage, qui va révolutionner leurs vies.

On trouve quoi dans ce livre ? Des viols + des assassinats + du sang et des larmes + de l’injustice +  des vies paysannes + un style poétique et haletant + une écriture de la terre + un récit depuis les marges + un texte anti-réactionnaire, anti-« la nature est bien faite », anti-« c’était mieux avant » + des personnages solidaires + des forêts et des plaines vivantes + la graine de la révolte apportée par une petite fille.

Sandrine Collette © Olivier Arandel

Extraits choisis

« Que la vie soit mal faite, nous le savons tous.

Nous avons la conscience aigüe de l’imperfection du monde ; les terres pourraient être partagées équitablement, et la richesse, et le travail et la maladie. L’amour, aussi. Mais le monde n’est pas juste, il ne l’a jamais été. Nous avons toujours été des gueux et nous avons toujours eu des maîtres. Nous ne savons pas d’où cela vient. De l’éternité, sans doute. Il n’est pas sûr que nous puissions changer de ce côté-là, non que nous n’en ayons pas la force, mais nous n’en avons pas l’idée. Les maîtres sont les maîtres.

Chaque degré du monde règne ainsi sur le degré du dessous. Entre eux également, les hommes sont impitoyables. Les gros paysans traitent leurs ouvriers comme des chiens, les artisans élèvent leurs apprentis à la trique, les parents commandent aux enfants jusqu’à leur mort. On ne s’oppose pas, les plus forts et les plus anciens ont toujours raison. La vie s’enchaîne sans que l’on se demande si c’était juste ; sans que l’on se pose la question de savoir s’il y avait mieux à faire, et pourtant oui, il y avait mieux à faire. Mais ah. Il aurait fallu réfléchir. Il aurait fallu ouvrir des possibilités et nous ne savons pas comment nous y prendre, pour peu que cela nous intéresse. Parfois il vaut mieux conserver un monde injuste dans lequel chacun connaît sa place, plutôt que de tout fiche en l’air et n’être plus sûr de rien. Ce que l’on a aujourd’hui, on l’a, même si c’est minuscule. Les hommes ont toujours quelque chose à perdre, ne serait-ce que la vie. En y pensant bien, le simple fait d’avoir un toit est déjà une chance.

Manger.

Se chauffer.

Tout trop peu et mal, mais cela existe. Alors, avons-nous intérêt à ce que le monde change ? Je n’explique pas autrement que par cette incertitude la capacité qu’ont les hommes à étouffer eux-mêmes leurs élans de révolte.  »

Résumé de Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette.

Qu’est-ce que j’en pense ?

Je découvre l’écriture de Sandrine Collette, et c’est un coup de foudre. Un des ces amours au premier regard évidents, nécessaires, mais difficiles. Car Madelaine avant l’aube ne s’offre pas, c’est un roman revêche, qu’on n’apprivoise pas, qui restera sauvage jusqu’au bout, tout comme la Madelaine du titre : Sandrine Collette a écrit un roman indomptable. Elle y raconte l’histoire de deux familles de paysan·nes, aux confins du monde, aux confins des temps. La famille d’Eugène et d’Aelis avec leurs trois fils d’une part, celle de Léon et d’Ambre d’autre part. Iels habitent une région dépeuplée dont la terre, pauvre et qui ne leur appartient pas, leur permet à peine de survivre. C’est l’ordre du monde : la domination des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres, des êtres humains sur la terre. Et il est immuable, cet ordre, c’est bien connu. Jusqu’au jour où une enfant, sans dieu, ni maître, surgit des forêts. Madelaine apporte avec elle, des cheveux sales, un regard indocile et tout un instinct de révolte, et toutes les flammes de la colère. Le style est poétique, parfois âpre et tendu, parfois amoureux et sucré, toujours vivant. 

Sandrine Collette écrit le sol, les arbres, les cris des oiseaux et le bruit des fleurs qui s’ouvrent, l’odeur des étables et celle des graines qui moisissent. Elle écrit les êtres aussi, les hommes dans le silence, les femmes dans l’attente, les maîtres qui chassent et les pauvres qui sont chassés, tout le monde malheureux. Elle écrit la beauté du monde et sa cruauté, elle est lucide, elle est dure, elle est juste. Madelaine avant l’aube est un cri d’amour éclairé à la terre et aux êtres qui la peuplent, jamais réactionnaire, jamais ni du côté des dominants ni de celui de la terre-mère : le roman est du côté des vivant·es. De celleux qui mangent, boivent et respirent ce que leur offre le monde, de celleux qui dorment, s’embrassent, créent, de celleux qui espèrent, qui rêvent, qui connaissent la magie. De celleux qui ne se laissent pas faire et n’ont pas peur, ni de vivre ni de questionner l’ordre, de le révolutionner, de lui tordre le cou. Si rien ni personne n’échappe à l’injustice des maîtres, alors rien ni personne n’échappera à la colère des dominé·es, qui grossira et pourra se déployer en acte grâce à un être qui n’aura rien renié ni de son animalité, ni de sa féminité. Madelaine viendra dans tous les villages allumer le feu de la révolution.


Où se procurer ce livre ? Gratuitement en bibliothèque municipale (catalogue des bibliothèques municipales de Paris, liste des bibliothèques de France) + neuf en librairie pour 8,40 € (liste non exhaustive des libraires en France) + d’occasion en librairie de seconde main (type Gibert, Boulinier…) + d’occasion sur des sites de seconde main (type Recyclivre…). N’oublions pas qu’en France, le prix du livre neuf est unique, c’est-à-dire qu’un livre neuf a le même prix partout, peu importe où on l’achète : alors, si on le peut, privilégions les librairies indépendantes et proches de chez nous. Merci à Jeanine qui m’a recommandé et prêté ce livre !


La fiche d’identité du livre : Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette, JC Lattès, 2024, 248 pages.

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